10 avril 2021

Étude de cas : Impact du changement climatique sur le gel de la vigne

Problématique : le changement climatique fait-il augmenter le risque de gel de la vigne en Champagne ?

Après une période de chaleur très anormale en mars, la France connait actuellement un épisode de froid marqué. Ce refroidissement a de lourdes conséquences pour l’agriculture : les bourgeons qui ont débourré précocement risquent d’être irrémédiablement détruits par le retour des gelées. La vigne est particulièrement concernée. Selon le CNIV qui réunit les professionnels des vins AOP et IGP, 80% du vignoble français a été touché par le gel. Par conséquent, la récolte 2021 est déjà en partie perdue. Comme souvent face à une calamité météorologique, une question revient : le changement climatique a-t-il joué un rôle dans le gel de la vigne ?

La réponse ne va pas de soi. D’un côté, on peut s’attendre à ce que le réchauffement du climat entraine une diminution du nombre de jours de gel et des gelées moins tardives. De l’autre, il peut aussi favoriser un redémarrage plus précoce de la végétation, rendant les cultures plus vulnérables aux dernières gelées. Un de ces phénomènes l’emporte-t-il sur l’autre ? Les deux effets se compensent-ils ? C’est ce que nous allons essayer de déterminer pour le vignoble de Champagne.

Quand débute la végétation de la vigne ?

impact du changement climatique sur la fréquence de gel de la vigne

Cep de vigne gelé : quel est l’effet du changement climatique sur ce risque ? (source)

Les arbres à feuilles caduques sont dormants en hiver. Pendant cette période, ils sont peu sensibles aux conditions météorologiques. Au printemps, l’activité de la plante reprend, visible par l’ouverture des bourgeons (ou débourrement). Pour la vigne, la dormance commence en fin d’été et le débourrement a lieu en début de printemps. A partir de ce moment, dont la date exacte change selon les conditions climatiques, le gel peut endommager la vigne.

A partir d’un historique météo ou de projections climatiques, il est relativement simple de déterminer le dernier jour de gel. Si on peut évaluer la date du débourrement, il suffira de comparer les deux pour voir si la végétation reprend avant la dernière gelée.

Le niveau de développement de la vigne dépend du nombre de degrés-jours au-dessus de 10°C1. Le degré-jour est un modèle phénologique simple pour quantifier l’effet de la température sur la croissance des végétaux. Il s’agit de la moyenne des températures journalières auxquelles on soustrait une température seuil en ne comptabilisant que les jours où la température dépasse le seuil. Par exemple pour un seuil de 10°C, trois journées avec une température moyenne de 12°C donnent (12 – 10) x 3 = 6 degrés-jours.

Le débourrement de la vigne survient lorsque la plante a accumulé environ 21 degrés-jours2.

Historique des gelées pour les vignobles de champagne

Voyons si cette méthode permet de rendre compte des événements passés. Nous allons la tester sur le région viticole de Champagne, précisément la Montagne de Reims au nord d’Epernay.

A partir d’une réanalyse (ERA5-Land), nous avons extrait les températures horaires de cette région (latitude = 49.1, longitude = 4.0) entre 1981 et 2020. Nous avons ensuite calculé  :

  1. Le dernier de jour de gel de l’année (défini comme une température négative pendant au moins 3 heures),
  2. Le début de la période de végétation pour la vigne (c’est-à-dire la date où on atteint 21 degrés-jours au-dessus de 10°C).

Nous avons ensuite comparé ces deux dates. Cette comparaison fait apparaitre 5 années de gel de la vigne en champagne : 1981, 1989, 1990, 1991 et 2017 :

calcul des années de gel de la vigne en champagne à partir de la température

Ces années sont-elles effectivement des années de gel ? Pour 2017, oui, on s’en souvient. Une rapide recherche confirme que c’est bien le cas pour les autres aussi : en 1981, 25% de la récolte est perdue. En 1989 et 1990 , les vignes de Champagne gèlent aussi mais avec moins de dégâts. Au contraire, en 1991 toute la France est durement frappée avec une baisse d’un tiers de la production de vin.

En sens inverse, avons-nous manqué des années de gel ? On trouve trace de gelées en Champagne pour d’autres années, comme 2019 et 1996, mais moins généralisées et moins graves. Notre méthode semble donc bien identifier les années de gel sévère, capables de mettre en danger la récolte de l’ensemble de appellation.

A l’heure actuelle, le changement climatique n’a pas d’effet discernable sur le risque de gel des vignes en Champagne

Que l’on s’appuie sur les années gélives recensées par Le Vigneron Champenois ou sur celles mises en évidence par notre analyse, le résultat est le même. Au cours des quatre dernières décennies, il n’y a pas d’augmentation de la fréquences des épisodes de gel en Champagne.

Pour mieux comprendre l’effet que le changement climatique peut avoir sur le gel de la vigne, nous avons fait apparaitre les tendances sur le graphique. L’intuition initiale est vérifiée : avec le réchauffement du climat, à la fois la dernière gelée et le débourrement deviennent plus précoces. Cependant un phénomène l’emporte nettement sur l’autre : alors que la date de la dernière gelée a avancé de 3.2 jours par décennie en moyenne, celle du début de la végétation a avancé seulement de 2.2 jours/décennie.

Ces résultats sont robustes. Si par exemple on prend le début de la végétation à 18 degrés-jours, elle avance de 1.5 jour par décennie. A 24 degrés-jours, elle avance de 2.0. Si on définit une gelée comme une heure de température négative (au lieu de 3), la dernière gelée devient plus précoce de 3.5 jours par décennie. Et si on prend 12 heures de température négative, elle avance de 5.9 jours.

Dans tous les cas, la reprise de la végétation et la dernière gelée deviennent plus précoces. Mais le gel recule plus vite. En d’autres termes, l’évolution du climat sur les 40 dernières années semble avoir réduit le risque de gel de la vigne. Au moins pour la région de Champagne.

Projections climatiques à l’horizon 2100

Évidement rien ne prouve que ces tendances vont se poursuivre dans les prochaines décennies. Mais il est possible d’évaluer l’impact futur du changement climatique sur le risque de gel de la vigne en utilisant des projections.

Une projection climatique est une simulation de la météo à long-terme tenant compte de l’augmentation de la concentration en gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il est important de noter que ces séries ne sont pas des prévisions. Il s’agit seulement de conditions météorologiques crédibles à un horizon donné. Si, par exemple, une projection indique que l’année 2050 est gélive, cela ne signifie pas qu’elle le sera réellement. Ce résultat est simplement un indice qu’un gel de la vigne est possible avec le climat du milieu du siècle.

Dans la suite de cette étude de cas, nous travaillons toujours en Champagne, sur la Montagne de Reims. Le scénario d’émissions retenu est le scénario RCP4.5 (émissions modérées). Nous avons utilisé des projections régionalisées réalisées par 9 couples de modèles (GCM, RCM). Ces projections sont issues du projet Euro-Cordex via le jeu DRIAS-2020.

Le graphique ci-dessous donne un aperçu des résultats pour 3 des 9 projections utilisées :

évaluation du risque de gel de la vigne en champagne par 3 modèles climatiques

Ces trois simulations, réalisées par des modèles différents, convergent sur certains points. Sur d’autres, elles divergent. C’est l’intérêt d’utiliser plusieurs modèles climatiques : définir plus clairement le domaine de l’incertain.

Dans notre cas, les différents modèles s’entendent entre eux pour dire que :

  • La dernière gelée et le début de la végétation continuent à devenir plus précoces,
  • Le risque de gel de la vigne existe encore à la fin du siècle.

Au contraire, il n’y a pas de consensus sur la fréquence des gelées à différents horizon de temps. Le rythme auquel les dates de dernier gel et de début de végétation évoluent varie aussi d’un modèle à l’autre.

Évaluation multimodèle de l’impact futur du changement climatique sur le risque de gel de la vigne en Champagne

A partir de ces résultats, comment se représenter l’effet du changement climatique sur le risque de gel de la vigne ?

Nous avons calculé la fréquence moyenne des années de gel sur une fenêtre glissante de 30 ans. Par exemple la fréquence pour la décennie 2050-2060 est évaluée sur la période 2040-2070. Après avoir répété ce calcul pour chacune des 9 simulations, nous avons calculé la médiane multimodèle. Nous avons également évalué l’intervalle de confiance à 80%.

Le résultat est le graphique suivant :

Evaluation multimodèle de l'impact du changement climatique sur le risque de gel de la vigne

Ce graphique peut se lire de la façon suivante :

  • La ligne bleue foncée représente la meilleure évaluation de la fréquence des années de gel,
  • La moitié des modèles ont donné une fréquence supérieure à cette ligne, l’autre moitié un fréquence inférieure,
  • Pour chaque décennie, la probabilité d’obtenir une fréquence moyenne supérieure à la borne supérieure de la barre bleue claire est de 10%,
  • La probabilité d’obtenir une fréquence moyenne inférieure à la borne inférieure est également de 10%.

Conclusion

Dans un scénario d’émissions modérées, la fréquence de gel de la vigne en Champagne reste stable à l’horizon 2050. Une augmentation de l’ordre d’une gelée supplémentaire tous les 20 ans est possible dans la seconde moitié du siècle.

Il faut relativiser ces conclusions. D’abord en raison de la largeur des intervalles de confiance. Ensuite parce que les modèles climatiques actuels anticipent mal les vagues de froid hivernales aux moyennes latitudes. Quoiqu’il en soit, les projections ne semblent pas annoncer une augmentation immédiate du risque de gel de la vigne dans cette région. En cela, elles recoupent les données passées qui elles aussi ne montrent pas un effet clair du changement climatique.

Cette conclusion est conforme à celle d’autres publications. Elles aussi montrent des incertitudes et des évolutions divergentes selon les régions, les variétés de raisin ou les modèles34.

La gestion de ces incertitudes est au cœur de notre travail. Avec le changement climatique, la viticulture fait face à de nombreux aléas : gel mais aussi sécheresses, maladies, impact de la chaleur sur la qualité des raisins… Savoir distinguer pour chaque cas les risques réels de menaces incertaines ou lointaines est la clé d’une stratégie d’adaptation efficace. Fournisseur de données locales et d’analyses sur-mesure, Callendar aide les entreprises et les organisation publiques à s’adapter au changement climatique.

Notre plaquette     Nous contacter     

 

  1. Barriault, E. (2013) Évaluation du potentiel viticole d’un site [en ligne]
  2. ITK (2020) Le paradoxe : le changement climatique accroît les risques de dégâts liés au gel sur vignes et vergers ! [en ligne]
  3. Sgubin, G. et al. (2018) The risk of tardive frost damage in French vineyards in a changing climate. [en ligne]
  4. Ma, Q. et al. (2018) Divergent trends in the risk of spring frost damage to trees in Europe with recent warming. [en ligne]